HISTOIRE

1er mars 2005 – Légalisation de l’absinthe en Suisse

La dépénalisation de l'absinthe

Le 1er janvier 2000, la Constitution fédérale est révisée et l’article 32 ter qui interdisait l’absinthe est abrogé. Cependant, la liqueur reste prohibée par la loi fédérale sur les denrées alimentaires.

En décembre 2001, la distillerie Blackmint à Môtiers reçoit l’autorisation de produire un « extrait d’absinthe » contenant 0,1 mg de thuyone par litre et titrant à 45% vol. Une brèche est ouverte.

La France entre dans le jeu et les distillateurs de Pontarlier François Guy et Emile-Gérard Pernot commercialisent à leur tour des spiritueux à l’absinthe. Il est temps, pour la Suisse, de réexaminer le cas de la fée verte

En 2002, le conseiller aux États fribourgeois Jean-Claude Cornu, propose la levée de l’interdiction. Il s’inquiète notamment de la nouvelle concurrence française et relève l’impact que cette libéralisation aurait sur le Val-de-Travers, son économie, son agriculture et son tourisme.

Après un plébiscite des Sénateurs, c’est à la Chambre du peuple de se prononcer sur la suppression de l’interdiction de l’absinthe, le 13 juin 2004. 142 voix pour, 13 contre. La Fée verte vient d’être dépénalisée.

Messieurs, c’est l’heure.

Et après…

La légalisation de l’absinthe intervient officiellement le 1er mars 2005.

Lors d’une cérémonie à Môtiers, chef-lieu du Val-de-Travers, autorités cantonales, communales et population fêtent la dépénalisation de la bleue. Une fée verte est symboliquement libérée de sa cage.

Mais tout le monde n’est pas à la fête.

Nombre de clandestins dénoncent la légalisation. L’absinthe n’a-t-elle pas gagné sa popularité dans la clandestinité ? Va-t-elle s’industrialiser, se standardiser ? Ne perdra-t-elle pas son âme, son authenticité ?

L’ancien clandestin Willy Bovet confie à Vallon TV : « Ces beaux messieurs Conseillers d’État faisaient de beaux discours quand quelqu’un m’a dit : Tu n’as pas l’air content. Je lui ai répondu non. Parce que ces personnes ne pensent pas à tous ceux qui ont perpétué le mythe de l’absinthe. Parce que s’il n’y avait pas eu les clandestins, on ne parlerait plus d’absinthe. Je pensais à tous ceux qui avaient souffert. Aux gamins moqués sur le chemin de l’école, houspillés parce que leur père s’était fait attraper. Certains ont payé de lourdes amendes. C’est à eux que je pensais le jour où ils ont libéralisé l’absinthe. »

Plante d'absinthe

2011 : légalisation en France

La France amorce elle aussi un assouplissement de la loi dès 1999, autorisant les boissons “à base de plantes d’absinthe”. Mais ce n’est que le 17 mai 2011 qu’elle autorise à utiliser la dénomination “absinthe”, pressée par la récente légalisation suisse qui émet des velléités d’appropriation de l’appellation “absinthe”.

De ce côté-ci de la frontière, la production reprend. Plus de 800’000 litres d’absinthe sont distillés dans une quinzaine de distilleries en France. En 2013, le Haut-Doubs obtient l’indication géographique (IG) “Absinthe de Pontarlier”.

L’absinthe aujourd’hui

Aujourd’hui, la Val-de-Travers a su protéger son artisanat. Ils sont actuellement une trentaine (33 en 2020) à apprêter une centaines d’absinthes différentes. Parmi eux, une majorité d’anciens clandestins au bénéfice d’une concession de la Régie fédérale des alcools – celle-là même qui les poursuivait il y a encore quelques années. La plupart des absinthes actuelles sont issues de recettes plus que centenaires qui ont traversé la prohibition.

Ceux qui en vivent se comptent sur les doigts d’une main. Aujourd’hui comme hier, la Fée verte est une affaire de passionnés et d’orfèvres, qui distille pour le plaisir de faire vivre le patrimoine et de le partager.

Cette absinthe légale doit aujourd’hui répondre à une réglementation européenne limitant son taux de thuyone. Cette substance neurotoxique, réputée hallucinogène à hautes doses, avait précipité la chute de la bleue en 1908, accusée de rendre fous ceux qui en buvaient. La nouvelle loi la limite désormais à 35mg par litre.

Dans cet élan, la culture de plusieurs plantes entrant dans la composition de l’absinthe a repris dans la région, comme c’était le cas au 19ème siècle. Et de nombreux produits dérivés sont confectionnés par des artisans régionaux : des chocolats aux saucissons à l’absinthe, en passant par des biscuits, confitures, sirops ou cosmétiques.

L’entente frontalière et l’héritage commun que le Val-de-Travers partage avec le département du Doubs se sont concrétisés par la création de l’association « Pays de l’absinthe » qui a créé une « Route de l’absinthe » transfrontalière à la découverte des principales attractions touristiques en lien avec le breuvage historique.

On estime que 150’000 litres d’absinthe sont consommés chaque année, en Suisse.